mercredi 17 octobre 2012

La démocratie, ce vrai garde-fou


Socrate et Platon, les Laurel et Hardy de la philosophie

   La démocratie présente cet avantage qu’elle nous permet d’obéir comme naturellement à la fameuse injonction socratique : «Connais-toi toi-même». Oui, si la démocratie est si chouette, c’est que rien comme elle n’est aussi révélateur de ce que nous sommes. Attention, dissipons tout de suite le malentendu contemporain, qui voudrait que la formule de Socrate ait des vertus de sésame, et qu’elle puisse en quoi que ce soit nous ouvrir les portes du bonheur et de l’épanouissement de soi. Pareille idée n’a jamais traversé l’esprit du philosophe. Son injonction n’a strictement rien de personnel, et encore moins de psychologisant.

   Karl Popper le rappelle dans son petit livre A la recherche d’un monde meilleur. Pour Socrate, «Connais toi toi-même !» signifie : «Sache combien tu en sais peu !» Une injonction qui, dans sa bouche, s’adresse à l’homme en général, et non aux individus en particulier. Socrate a conscience que le non savoir est le propre de la nature humaine, et son louable souhait serait que nous le fussions autant que lui. (Hélas, notre foi en notre maîtrise et notre incroyable orgueil devant les problématiques présentes et futures nous tiennent bien éloignés de sa sagesse).

   Au fond, Socrate et Platon sont les Laurel et Hardy de la philosophie. Si magnifiquement complémentaires et contradictoires ! Tous deux s’accordent sur un même constat : notre incommensurable ignorance. Mais – différence majeure – là où Socrate Laurel pose des questions, Platon Hardy croit pouvoir arriver avec des «solutions». Au contraire de son maître, c’est un homme d’aujourd’hui, et même son prototype. Chaque jour en quête du Juste et du Bien, nous relisons et réactualisons sa République, rigolo catalogue de mesures antidémocratiques. Ah, que de merveilleuses idées et recettes pour fonder un Etat parfait ! Toutes fondées sur le présupposé qu’un aréopage de sages, une élite, peut détenir la vérité politique, et que le peuple serait bien avisé de suivre.

   C’est miracle si, ici et là, sans doute malgré nous, se sont mis en place des systèmes démocratiques correspondant davantage à l’idéal socratique. C’est-à-dire dans lesquels – le peuple ne détenant pas plus la bonne parole que les élites – il est loisible à chacun de commettre les pires erreurs sans que l’on décapite personne – car il faudrait décapiter tout le monde. C’est aussi pourquoi relève Popper, il faut que la démocratie ne soit jamais tout à fait la démocratie. Car qu’on y songe : une démocratie «instantanée» où les citoyens décideraient d’un clic de la marche des affaires publiques obéirait aussitôt à une logique folle. Pour éviter pareil chaos, mieux vaut évidemment que le pouvoir du peuple s’exprime de façon un peu cohérente et s’applique dans une certaine durée. C’est à quoi sert la désignation de représentants «élus», certes susceptibles eux aussi de se fourvoyer en tout – mais dont les décisions sont peu ou prou contenues par ce garde-fou qu’on appelle une Constitution. Et par les législations qui en découlent, longuement mûries à tête reposée.

   Voilà. Si la démocratie est le meilleur des systèmes possibles, c’est précisément parce que les citoyens savent qu’ils ne savent rien, et qu’ils sont capables du pire. En quoi, selon le vœu de Socrate, on peut juger que «c’est parce qu’ils ne se connaissent que trop eux-mêmes» qu’ils ont élu la démocratie comme le meilleur des systèmes possible. Le seul qui permette modestement à notre espèce d’échapper un peu à ses propres travers  – mais pour combien de temps ?



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