Les boucs émissaires
de Paris
Le philosophe Raphaël
Glucksmann (fils d’André récemment décédé) était à peu près le seul à dire
quelque chose d’un peu intelligent dans le fatras de propos tenus samedi soir
lors d’un On n’est pas couché
improvisé en direct.
L’Etat islamique n’a pas du tout frappé «à l’aveugle» – la cible était aussi choisie que les dessinateurs de Charlie-Hebdo en janvier dernier. Cette cible, comme l’explicite d’ailleurs très clairement le communiqué de l’Etat islamique, c’est notre mode de vie, celui qui a cours en Occident, qu’il s’agit de faire littéralement exploser de l’intérieur. Ce qui est attaqué, ce sont nos façons d’être. Ce que nous appelons des victimes innocentes, Daech l’appelle des idolâtres. Choc civilisationnel ? Oui, mais de l’ordre du sursaut. A quoi bon se demander si nous avons affaire à «une guerre de religion» ou à un conflit simplement politique et idéologique? Le choc est avant tout celui des valeurs. A cet égard, je mets ici en exergue quelques uns des propos tenus par René Girard dans l’entretien qu’on trouve plus bas sur ce blog :
«Sur le plan de la
pensée, de la science, de la technique, des formes sociales, il n’y a plus
qu’une société aujourd’hui. Notre présent inouï est incompréhensible sans le
christianisme, notre monde impensable sans lui. La société globale est là,
issue de la désacralisation du monde par le christianisme, de l’exploration du
réel et des techniques qui en sont nés. Les pays non chrétiens s’inscrivent
eux-mêmes dans un univers christianisé. La planète entière fonctionne désormais
à l’intérieur d’un système unique – ce qui ne signifie pas la fin de toute
diversité. Le paradoxe du fondamentalisme, qu’il soit mahométan, hindou voire
chrétien, est celui-ci : comment se fait-il que des religions qui se
voudraient toutes singulières réagissent de la même façon rigide ? On
dirait qu’elles réagissent à une force qui les affecte toutes de la même
manière et par laquelle elles sont en situation défensive. Alors, quelle est
cette force ? Je pense bien entendu que c’est la démythification d’origine
chrétienne. Et la compréhension que même les plus grandes religions sont
menacées par cette force.»
Girard semblait s’en réjouir, voyant dans ce
processus «une dimension apocalyptique» et «une actualisation historique de la
Révélation.» Et s’il s’en réjouissait, c’est que, dans son idée, le
christianisme renverse la problématique ancestrale du bouc émissaire : la
révolution amenée depuis des siècles par le christianisme tiendrait en ceci que, dans cette religion, «le
bouc émissaire est innocent.» Manifestement, l’Etat islamique ne partage pas
du tout cette vision-là.
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