Pour tenter de bien aborder 2019, ma chronique consacrée à un joli petit livre récemment paru, « L'Océan des émotions » de Jean-Christophe Aeschlimann, paru aux éditions Bernard Campiche. La chronique est parue dans le mensuel Générations (décembre 2018).
jean-françois duval blog
mercredi 16 janvier 2019
mercredi 30 mai 2018
APHORISMES D'ESPERET
Mon ami Jean-Michel Esperet, spécialiste ès Vince Taylor, publie « DISSIDENCES: APHORISMES ET DIVERSIONS » aux éd. Socialinfo. Le magazine ROCK online KR'TNT lui consacre un bel éloge. Lire ci-dessous:
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME LIVRAISON 376
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME LIVRAISON 376
DISSIDENCES
APHORISMES ET DIVERSIONS
JEAN-MICHEL ESPERET
(Lausanne, Editions SOCIALINFO / 2018 )
APHORISMES ET DIVERSIONS
JEAN-MICHEL ESPERET
(Lausanne, Editions SOCIALINFO / 2018 )
Troisième livre de Jean-Michel Esperet que nous chroniquons dans Kr'tnt ! Le Dernier Come-back de Vince Taylor ( aux Editions de L'Ecarlate ) dans notre livraison 142 du 02 / 05 / 2013, et L'Être et le Néon ( toujours aux Editions de L'Ecarlate ) dans la livraison 301 du 03 / 11 / 2016, où Jean-Michel Esperet opérait de sentencieuses collusions entre Jean-Paul Sartre et l’ange noir du rock’n’roll.
Dans ces «Dissidences : aphorismes et diversions» , Vince Taylor n'est plus là, Jean-Michel Esperet prend la parole en son propre nom. L'aurait pu nous promener dans les images d'Epinal de sa vie de rocker - il a enregistré sous son propre nom - mais non, l'a décidé d'aller au plus profond, de quitter l'écume évènementielle pour nous faire part de sa Weltanschauung, sa vision du monde pour parler en bon français, mais si j'emploie le terme philosophique allemand ce n'est pas par hasard, mais selon la référence épigraphique et explicite à Georg Christoph Litchenberg, cet inventeur littéraire du couteau (nous préciserons suisse puisque le livre est édité à Lausanne ) sans manche à qui il manque la lame.
Marcel Proust s'était rendu compte que les choses et la vie ne valent que par l'endroit – du côté de... pour reprendre son expression - d'où on les regarde, l'en a noirci des milliers de feuilles, Jean-Michel Esperet s'est voulu plus expéditif, l'a choisi l'aphorisme. Genre philosophico-littéraire à deux têtes, l'une qui tient de la foudre lorsqu'il est manié avec tonitruance, l'autre des points de suspension lorsque l'on veut suggérer plus que l'on ne dit.
Les anciens grecs partageaient la vie en deux tronçons, l'initial qui monte vers l'acmé, le point culminant de l'existence, et le déclinal qui nous transbahute vers notre amphore cinéraire. Jean-Michel Esperet nous parle près du terme final, ne s'en cache pas, garde son humour, suggère à la standardiste de l'hôpital de lui réserver une chambre froide pour son repos post-opératoire... L'a déjà ingurgité une bonne dose de vie Jean-Michel Esperet, l'en tire des conclusions, qui lui appartiennent.
Surtout ne les prenez pas pour des leçons. L'a ses idées, ses jugements, ses répulsions, ses références, ses préférences, mais il ne ne les érige pas en vérités éternelles. S'élève d'ailleurs très logiquement et très longuement contre toute prétention religieuse à détenir la Vérité. Les religions révélées en prennent pour leur grade. Judaïsme, christianisme et islamisme sont tour à tour durement malmenés. Fait même une petite parenthèse spéciale – Suisse oblige - pour le calvinisme. Il déteste les dogmes, les prêtres et la bêtise des croyants. De toutes obédiences.
N'a point une trop bonne opinion des hommes non plus. Ne le crie pas sur le toit de ses aphorismes. Mais cela s'entend cruellement : « L'idiot du village se sentirait moins seul en ville. » ou « Autrui me décourage de tromper ma solitude. ». L'aime bien, avec ce soupçon d'injustice expéditive des plus jouissifs, être cruel : « Ce sont les rondeurs des mères qui poussent leurs filles à l'anorexie. » Taille dans le vif des préventions et des idées toutes faites. Part du principe qu'il vaut mieux en rire qu'en pleurer.
N'aime guère les jérémiades. Dénonce vertement les intellectuels de gauche. Ne cherche pas d'excuses aux comportement humains. C'est en ces instants que l'on peut faire à Jean-Michel Esperet le reproche d'un glissement de pensée du politique vers l'idéologie, cette dernière se contentant de dénoncer les faits – c'est-à-dire les effets - sans s'attaquer aux causes qui les engendrent. La critique du productivisme capitaliste n'est jamais pris en compte dans ces Dissidences. C'est dommage, il faut aussi bien se garder à droite qu'à gauche. Sans quoi l'on passe de la dissidence à l'expression de son opinion. Car toute dissidence se doit de se porter aussi bien envers les autres qu'envers soi-même. Même le couteau de Lichtenberg doit être retourné contre soi.
Reste les Diversions. Petites anecdotes insérées dans la trame des aphorismes. Empruntées à sa vie personnelle ou à diverses publications. Il est étrange de voir comment notre personnalité se bâtit selon certains mini-évènements, que nous élisons hautement significatifs, ou sur de courtes informations diverses qui nous semblent des plus emblématiques. Trois fois rien, si l'on y songe. Mais à force d'additionner les riens, l'on atteint au nihilisme. L'on y accède par le chemin d'épines de la vieillesse pour se retrouver face à face avec le rire squelettique de la mort. Désagréable situation à laquelle Jean-Michel Esperet a la délicatesse de répondre par un sourire. Sardonique. Rien ne vaut une cuillerée aphoristique pour faire passer l'amertume de la potion.
Que voulez-vous Jean-Michel Esperet préfère hurler avec le Howlin' Wolf que pleurnicher avec cette chienne de vie !
Damie Chad
Dans ces «Dissidences : aphorismes et diversions» , Vince Taylor n'est plus là, Jean-Michel Esperet prend la parole en son propre nom. L'aurait pu nous promener dans les images d'Epinal de sa vie de rocker - il a enregistré sous son propre nom - mais non, l'a décidé d'aller au plus profond, de quitter l'écume évènementielle pour nous faire part de sa Weltanschauung, sa vision du monde pour parler en bon français, mais si j'emploie le terme philosophique allemand ce n'est pas par hasard, mais selon la référence épigraphique et explicite à Georg Christoph Litchenberg, cet inventeur littéraire du couteau (nous préciserons suisse puisque le livre est édité à Lausanne ) sans manche à qui il manque la lame.
Marcel Proust s'était rendu compte que les choses et la vie ne valent que par l'endroit – du côté de... pour reprendre son expression - d'où on les regarde, l'en a noirci des milliers de feuilles, Jean-Michel Esperet s'est voulu plus expéditif, l'a choisi l'aphorisme. Genre philosophico-littéraire à deux têtes, l'une qui tient de la foudre lorsqu'il est manié avec tonitruance, l'autre des points de suspension lorsque l'on veut suggérer plus que l'on ne dit.
Les anciens grecs partageaient la vie en deux tronçons, l'initial qui monte vers l'acmé, le point culminant de l'existence, et le déclinal qui nous transbahute vers notre amphore cinéraire. Jean-Michel Esperet nous parle près du terme final, ne s'en cache pas, garde son humour, suggère à la standardiste de l'hôpital de lui réserver une chambre froide pour son repos post-opératoire... L'a déjà ingurgité une bonne dose de vie Jean-Michel Esperet, l'en tire des conclusions, qui lui appartiennent.
Surtout ne les prenez pas pour des leçons. L'a ses idées, ses jugements, ses répulsions, ses références, ses préférences, mais il ne ne les érige pas en vérités éternelles. S'élève d'ailleurs très logiquement et très longuement contre toute prétention religieuse à détenir la Vérité. Les religions révélées en prennent pour leur grade. Judaïsme, christianisme et islamisme sont tour à tour durement malmenés. Fait même une petite parenthèse spéciale – Suisse oblige - pour le calvinisme. Il déteste les dogmes, les prêtres et la bêtise des croyants. De toutes obédiences.
N'a point une trop bonne opinion des hommes non plus. Ne le crie pas sur le toit de ses aphorismes. Mais cela s'entend cruellement : « L'idiot du village se sentirait moins seul en ville. » ou « Autrui me décourage de tromper ma solitude. ». L'aime bien, avec ce soupçon d'injustice expéditive des plus jouissifs, être cruel : « Ce sont les rondeurs des mères qui poussent leurs filles à l'anorexie. » Taille dans le vif des préventions et des idées toutes faites. Part du principe qu'il vaut mieux en rire qu'en pleurer.
N'aime guère les jérémiades. Dénonce vertement les intellectuels de gauche. Ne cherche pas d'excuses aux comportement humains. C'est en ces instants que l'on peut faire à Jean-Michel Esperet le reproche d'un glissement de pensée du politique vers l'idéologie, cette dernière se contentant de dénoncer les faits – c'est-à-dire les effets - sans s'attaquer aux causes qui les engendrent. La critique du productivisme capitaliste n'est jamais pris en compte dans ces Dissidences. C'est dommage, il faut aussi bien se garder à droite qu'à gauche. Sans quoi l'on passe de la dissidence à l'expression de son opinion. Car toute dissidence se doit de se porter aussi bien envers les autres qu'envers soi-même. Même le couteau de Lichtenberg doit être retourné contre soi.
Reste les Diversions. Petites anecdotes insérées dans la trame des aphorismes. Empruntées à sa vie personnelle ou à diverses publications. Il est étrange de voir comment notre personnalité se bâtit selon certains mini-évènements, que nous élisons hautement significatifs, ou sur de courtes informations diverses qui nous semblent des plus emblématiques. Trois fois rien, si l'on y songe. Mais à force d'additionner les riens, l'on atteint au nihilisme. L'on y accède par le chemin d'épines de la vieillesse pour se retrouver face à face avec le rire squelettique de la mort. Désagréable situation à laquelle Jean-Michel Esperet a la délicatesse de répondre par un sourire. Sardonique. Rien ne vaut une cuillerée aphoristique pour faire passer l'amertume de la potion.
Que voulez-vous Jean-Michel Esperet préfère hurler avec le Howlin' Wolf que pleurnicher avec cette chienne de vie !
Damie Chad
mardi 29 mai 2018
samedi 12 mai 2018
mardi 10 avril 2018
Jean-François Duval, «Demain, quel Occident ? »
« Demain, quel Occident ? » Mon nouveau livre est en librairie, La question, cruciale, court en filigrane dans mes entretiens avec des personnalités telles Cioran, Brigitte Bardot, Michel Houellebecq, Huntington, Fuyukama, Jean Baudrillard, George Steiner, Paul Ricoeur, le Dalai-Lama, Zizek et maints autres. Chez Payot, à la Fnac, dans toutes les bonnes librairies, ou commandable auprès de : www.socialinfo.ch
Jean-François Duval |
lundi 25 septembre 2017
Les BEATS toujours VIVANTS
CHRONIQUES
University of Chicago Center, Paris. 20-22 septembre 2017. Colloque beat de l'EBSN (European Beat Studies Network). |
RONIQUES
Les BEATS toujours
VIVANTS !
Il m’est arrivé une bien agréable
aventure ces derniers jours. Ma route a un peu croisé celle de Kerouac,
Ginsberg, Burroughs, et de tous les autres écrivains de la Beat
Generation ! La semaine dernière, je me suis en effet rendu au Colloque
sur les Beats qui s’est tenu au University of Chicago Center, à Paris. L’événement
était organisé par The European Beat Studies Network dont je me suis enfin
décidé à devenir membre et qui, depuis sa fondation en 2012, organise chaque
année un colloque un peu partout autour de la planète : Tanger, Middleburg
(Pays-Bas), Manchester… Cette dernière semaine, c’était à Paris. Plus de cent
participants ! L’EBSN (European Beat Studies Network) tisse une
formidable «toile» qui regroupent tous
ceux qui s’intéressent, ou plutôt se passionnent pour la Beat Generation, une mouvance
qui n’a pas fini de faire parler d’elle, tant l’exigence de rebellion est une
nécessité qui s’inscrit au cœur même du fonctionnement de toute société, et tout
particulièrement de la nôtre sous les formes qu’elle prend aujourd’hui.
On ne le sait pas
assez : le mouvement initié à partir de 1947 par Kerouac, Ginsberg,
Burroughs n’est pas mort du tout !
Oh non, il ne cesse de se perpétuer, par la grâce de métamorphoses et de boutures
incessantes et renouvelées. L’un des intérêts est qu’en sus des universitaires (l’EBSN
est essentiellement composés de profs d’unis, mais pas seulement) qui se
penchent sur ce phénomène historico-socio-littéraire, il est encore possible de
rencontrer certaines personnes qui ont fait partie et s’inscrivent encore directement
dans la continuité de la légende beat. Moi-même, par le passé, j’ai pu rencontrer
Ginsberg, Bukowski, Lu Ann Henderson (Marylou dans «Sur la route» de Kerouac),
Carolyn Cassady, et maints autres, mais je n’avais encore jamais serré la main
à Bonnie Bremser, femme du poète Ray Bremser (elle se prostitua brièvement au
Mexique dans les années 50 pour sauver leur enfant, expérience qu’elle raconte
dans « Troia »), ni à deux ou trois compagnons de route du fameux Herbert
Huncke qui, avant Kerouac auquel il souffla le mot, créa le terme
« beat » pour qualifier toute une génération – celle, déboussolée et
jetée dans une quête profondément existentielle, de l’après Deuxième guerre
mondiale. Depuis cinq jours, c’est chose faite ! (leur serrer la main).
Gerald Nicosia, Paris, 2017 |
J’étais depuis plusieurs
années en contact via e-mails avec Gerald Nicosia (voir photo), qui publia
«Memory Babe» en 1983, incontournable biographie de Kerouac sur un plan factuel
(300 personnes interviewées) autant que critique (1000 pages, Nicosia travaille
sur le sujet depuis plus de 40 ans, une vite entière !) mais nous ne
nous étions jamais rencontrés en chair et en os. On s’est embrassé comme de
vieux amis. Mieux : Ann Charters en personne, 82 ans et plus fraîche
qu’une pâquerette malgré le «jetlag» l’amenant des States, était là.
Ann Charters, Paris, 2017 |
Qui est
Ann Charters (voir photo) ? En 1956, à l’âge de vingt ans, elle fut la
première universitaire à s’intéresser à Kerouac. Plutôt que de se pencher sur
Melville ou Emerson, voire sur Milton ou Chaucer (l’Université l’y poussait),
elle s’était intéressée à Kerouac justement parce qu’un prof disait à ses
étudiants pis que pendre sur lui – de quoi être intriguée. Ses successeurs lui
doivent beaucoup puisqu’elle est l’auteur
de la toute première biographie critique à lui consacrée,
«Kerouac : A Biography» (1973). Elle était la seule d’entre nous, participants,
à avoir rencontré Jack Kerouac, en 1967, deux ans avant sa mort. Kerouac
était alors complètement oublié. Plus personne ne trouvait ses livres, jamais
réédités. Vendredi dernier, en réponse à la question d’un participant qui lui
demandait son avis sur le chemin parcouru depuis lors, Ann Charters, de longue
date professeur à l’Université du Connectictut, l’a dit avec un sourire
radieux : «It’s Paradise ! ». C’est le Paradis. Oui,
puisqu’aujourd’hui il existe des dizaines de biographies de Kerouac, et des
milliers d’études traitant de son œuvre. Et les études sur d’autres écrivains
beats foisonnent, qu’il s’agisse de Gregory Corso, Michael McCLure, Gary
Snyder, Ferlinghetti, Diane Di Prima et cent autres.
Lydia Lunch, Paris, 2017 |
Les conférences se sont
succédées de manière effrénée. Je ne sais plus le nombre de celles auxquelles
j’ai participé. Il y a eu des performances, dont celle de l’étonnante Lydia
Lunch (mon Dieu, quelle personnalité !) On s’est interrogé sur mille sujets :
la réception des Beats en France dès 1960 (Maurice Nadeau étant évidemment le
premier à s’être avisé de leur existence), le rapport entre les Beats et
l’existentialisme français, Sartre, Camus, l’émergence des mouvements
féministes via les Beat Women, le rapport des Beats à Rimbaud, la présence de
Kerouac (et de ses haikus) en Asie, l’importance constestataire du mouvement
beat dans la Turquie d’aujourd’hui, etc, etc. Tout cela était si intéressant
que tous ces gens venus du bout du monde n’ont pas eu une minute pour découvrir
Paris (j’ai tenté de les consoler, et crois y avoir réussi – ils découvriront
une autre fois la tour Eiffel).
Pour ma part, l’un des
grands moments fut la matinée consacrée à Herbert Huncke, que tout le monde
appelait «Hunckie», un gosse de la rue – il y a vécu dès l’âge de douze ans –,
une icône beat décédée à l’âge de 81 ans, en 1996. (J’étais précisément à New
York à ce moment, et m’en veux encore d’avoir manqué ses funérailles, pour la
bête raison qu’il me fallait utiliser mon billet d’avion retour pour l’Europe –
que je sois maudit !). Par bonheur, au University of Chicago Center de
Paris, vendredi dernier, il y avait trois personnes qui l’avaient intimement
connu : Bonnie Bremser, son ami poète Clive Matson et son
éditrice Eila Kokkinen. On a pu démonter quelques idées reçues : la
plupart des ouvrages traitant des écrivains beat rangent Hunckie au rang des
«petits criminels et héroïnomanes» de Times Square entre 1940 et 1945 (il en
était certes la figure la plus remarquable) omettant, par ignorance, deux
choses : Hunckie était un prince de la langue – Kerouac l’a lui-même qualifié
de « roi des storytellers, des raconteurs d’histoires ». Deuxième point
sur lequel tout le monde s’est accordé : Hunckie, plus que Kerouac, plus
que Ginsberg, a été (bien malgré lui) le véritable initiateur de ce qui allait
devenir la Beat Generation (il avait sans arrêt le mot «beat » à la bouche). En
ce sens, Ginsberg a en quelque sorte été la « chambre d’écho » du mouvement
(sans lui, les médias n’en auraient jamais entendu parler). Kerouac, lui, en
avait parfaitement compris « l’esprit », et son écriture en est devenu la
meilleure incarnation à travers le Verbe. Mais Huncke, lui, et comme disent les
Américains, était la chose ELLE-MÊME, THE REAL THING. Je crois que c’est vrai.
Nul plus que Hunckie n’a réellement vécu, dans sa chair et sur un plan
existentiel, ce qu’être «beat» veut dire. Kerouac et les autres n’ont fait, en
grande partie, que mettre la chose en mots. A l’un (Hunckie) la réalité de la
chose, aux autres la tâche de la mettre en écriture.
A quoi s’ajoute toutefois,
et ça n’est pas rien, que Hunckie était, autant que les autres, un grand
lecteur et un fou d’écriture (hélas tous ses carnets ont été réduits en flammes)
qui écrivit tout de même quelques textes où il excelle dans la description et
le portrait. Si sa préférence sexuelle allait aux hommes, il possédait à un
haut degré l’art de brosser des portraits de femmes, qu’il s’agisse de Joan
Vollmer (l’épouse paradoxale de William Burroughs) ou de Vicki la Rousse, telle
qu’il la dépeint dans son livre « Coupable de tout » (traduit au
Seuil dans l’excellente collection Fiction & Cie dirigée par Bernard
Comment, qui en signe la belle introduction.) Joan Vollmer ? Vicki la
Rousse ? D’autres ? A lire ce qu’en dit Hunckie, on en tombe
fatalement amoureux… tant, sous sa plume, toute femme devient une reine !
Hassan Melehy et Oliver Harris (chapeau.) |
Alors oui, sacré colloque ! Qui n’aurait jamais eu lieu sans la
création en 2012 de l’EBSN, né à l’initiative de son toujours actuel président,
Oliver Harris, professeur à Keele University (GB) et à l’heure actuelle le
meilleur spécialiste de l’œuvre de William Burroughs. Je suis même persuadé que
William Burroughs serait ravi de lui emprunter son chapeau (voir photo). Quant
à nous, on le lui tire – aussi bien qu’aux organisateurs Véronique Lane,
professeur à Lancaster University et auteur de «The French
Genealogy of The Beat Generation: Burroughs, Ginsberg and Kerouac’s
Appropriations of Modern Literature, from Rimbaud to Michaux», Peggy
Pacini, maître de conférence à l’Université Clergy-Pontoise et traductrice des «Lettres
choisies» d’Allen Ginsberg publiées chez Gallimard, et Frank Rynne.
Qui s’intéresserait à l’EBSN cliquera sur :
Jean-François Duval
mardi 29 août 2017
Vialatte, Daoud, Duval
Eh bien, ravi de me retrouver en compagnie du maître Vialatte et de Daoud dans cette excellente réflexion de Jean-Louis Kuffer sur l'art et la portée de la chronique, tout juste parue dans «Bon pour la tête», le journal en ligne qui a pris la succession de «L'Hebdo».
jeudi 17 août 2017
TRUMP réfléchit: sauver le shérif ARPAIO ?
DONALD TRUMP n'en manque pas une ! Après ses ahurissantes déclarations sur la tragédie de Charlottesville, il va se rendre à Phoenix, annonçant par un Tweet qu'il réfléchit «sérieusement» à accorder le pardon présidentiel à l'ex-shérif Joseph Arpaio, condamné ce 31 juillet 2017 pour n'avoir pas mis un terme, en 2011, à ses patrouilles de volontaires anti-immigrants. Je me souviens du reportage surréaliste, texte et photos, que j'avais jadis fait sur lui, alors que j'étais de passage en Arizona.
mercredi 16 août 2017
ELVIS PRESLEY selon GREIL MARCUS
Elvis PRESLEY. Tout ce qu'il faut savoir sur la façon dont il a changé le monde. Rencontre avec Greil Marcus au Chelsea Hotel, New York, qui me disait déjà tout sur l'impact musical et sociologique de Presley, 25 ans après sa mort .
mardi 15 août 2017
Elvis Presley, naissance du rock ?
ELVIS PRESLEY est mort il y a 40 ans, en 1977, dix ans tout juste après le Summer of Love. S'il n'a pas inventé le rock'n'roll, il en a fait l'instrument d'une révolution sociale. En 1967 aussi, avec leur album St Pepper Lonely Hearts Club Band, les Beatles témoignaient à quel point la musique pouvait anticiper et révéler les mutations et bouleversements sociaux. Retour sur un phénomène.
lundi 14 août 2017
Nick TOSCHES & Rock'n'roll
NICK TOSCHES & LE ROCK'N'ROLL
Sur les photos de lui publiées par les éd. Allia (telle la couverture de ses «Confessions d'un chasseur d'opium»), Nick Tosches apparaît toujours la mine sombre, presque dangereuse. Or, que personne n'en doute, il sait sourire, et d'un sourire tout à fait craquant ! A preuve cette photo que j'ai prise de lui par un bel après midi new yorkais, dans son quartier natif de Little Italy. Un plaisir d'échanger avec lui sur l'histoire du rock'n'roll, dont il est l'un des meilleurs spécialistes avec Greil Marcus et Peter Guralnick. Indispensables, ses ouvrages «Héros oubliés du rock'n'roll: les années sauvages du rock avant Elvis», et «Country: les racines tordues du rock'n'roll», tous deux traduits et publiés chez Allia.
Sur les photos de lui publiées par les éd. Allia (telle la couverture de ses «Confessions d'un chasseur d'opium»), Nick Tosches apparaît toujours la mine sombre, presque dangereuse. Or, que personne n'en doute, il sait sourire, et d'un sourire tout à fait craquant ! A preuve cette photo que j'ai prise de lui par un bel après midi new yorkais, dans son quartier natif de Little Italy. Un plaisir d'échanger avec lui sur l'histoire du rock'n'roll, dont il est l'un des meilleurs spécialistes avec Greil Marcus et Peter Guralnick. Indispensables, ses ouvrages «Héros oubliés du rock'n'roll: les années sauvages du rock avant Elvis», et «Country: les racines tordues du rock'n'roll», tous deux traduits et publiés chez Allia.
samedi 5 août 2017
lundi 3 juillet 2017
« La Fée valse » de Jean-Louis Kuffer
LA FéECHRONIQUES
Sur « La Fée valse » de Jean-Louis Kuffer
On
ouvre le livre, on lit quelques pages, et tout de suite naît cette impression
qu’à chacune d’elles les mots sont essentiellement là pour prendre tout leur
bonheur, sous une multiplicité d’éclats. Et tout aussi vite l’on se dit « Mais
qu’est-ce que c’est ? De quoi s’agit-il ? A quoi a-t-on affaire
ici ? ». D’entrée de jeu (littéralement,
car les mot sont bien là pour jouer), on éprouve ce plaisir si particulier
d’entrer en déroute. Si La Fée valse
est composé de plus d’une centaine de textes, la quasi totalité parvient à se
tenir sur une seule page, comme si cette seule et unique page leur suffisait
comme place de jeu. Comme si cet espace relativement réduit, à ne pas dépasser
(par quelques imaginaires contraintes oulipiennes), justifiait et servait
d’autant mieux leur profusion et leur éclatement.
A quel genre ce livre appartient-il ? Est-ce
de la prose poétique ? De petits textes en prose ? Plus intrigant
encore : où donc Jean-Louis Kuffer trouve-t-il ses sujets, ses motifs ?
– car tous relèvent du jamais vu, le
lecteur s’en avise très vite. Oui, où les trouve-t-il, cet écrivain-là ? Impossible
à dire justement (sinon adieu la féerie vers laquelle pointe déjà le titre de
l’ouvrage) tant la trame elle-même du recueil repose sur l’exigence d’une surprise,
toute fraîche et toute neuve en ses mouvements, dans laquelle croquer – chaque
fragment possédant sa saveur propre. « Maudite fantaisie ! »,
s’écrient d’ailleurs certains (dans le morceau intitulé Petit Nobel). La fantaisie ?
« L’ennemi à abattre », poursuivent-ils. Tant pis pour ces mauvais
esprits, bataille perdue : ce n’est certes pas dans La Fée valse que pareil assassinat se laissera commettre. Ici la
fantaisie n’est pas à renverser, elle est reine.
Bref, voilà un livre selon mon goût. Car aujourd’hui
– et c’est l’un de mes désespoirs –, la situation de la littérature est telle
que j’aime que l’on ne puisse rattacher une œuvre à aucun genre bien défini. Je
suis contre les genres (même si je lis parfois des romans par un banal souci de
distraction comme je regarderais une série télévisée, ce qui n’a rien à voir
avec la littérature). S’écarter des genres établis, ne serait-ce pas encore la
meilleure façon de ne pas reproduire les schèmes et formes convenues du passé, que
perpétue le 90% des livres empilés sur les tables de libraires ? Mieux !
On fait d’une pierre deux coups : non seulement on s’écarte des chemins
rebattus, mais le moyen est aussi idéal pour laisser libre cours à l’esprit
d’invention. Voilà donc ce qu’on peut d’emblée poser à propos de La Fée valse : ce livre est de ceux
qui appartiennent à une essence
différente, comme disent les botanistes.
« Qu’est-ce que c’est ? » Essayons
tout de même d’aller un peu plus loin dans cette question. Jean-Louis Kuffer (ou
son narrateur) nous en fait l’aveu page 90 : « Quand j’étais môme, je
voyais le monde comme ça : j’avais cassé le vitrail de la chapelle avec ma
fronde et j’ai ramassé et recollé les morceaux comme ça, tout à fait comme ça,
j’te dis, et c’est comme ça, depuis ce temps-là, que je le vois, le monde. »
Qu’importe évidemment si la péripétie est véridique ou non. Ce qu’il vaut en
revanche de noter, c’est ceci : tout l’art de Kuffer, en tant qu’écrivain,
relève exactement du même genre d’entreprise.
Ce vitrail cassé d’un coup de fronde et dont
on recolle les morceaux, c’est
exactement le même vitrail qu’ambitionne d’être La Fée valse (en quoi le livre est bien à sa place dans la nouvelle
et très belle collection « métaphores » créée aux éditions de L’Aire).
Le livre de Kuffer est ainsi fait de morceaux, et l’on peut dire à son propos
ce que dit l’un des textes à propos des tableaux de Munch : « Les
couleurs ne sont jamais attendues et classables, chaque cri retentit avec la sienne …»
Voilà. La
Fée valse tient du vitrail brisé et recomposé. C’est un ensemble de morceaux. Et qui dit
ensemble dit aussi exigence d’harmonie. Une exigence qui, notons-le au passage,
nous vient du fond des âges et des traditions. Dans le judaisme par exemple, la
kabbale n’a pas d’autre fonction : à dessein, Dieu a brisé sa création
comme il l’aurait fait d’un vase, et c’est à l’homme de recoller les morceaux, de recréer le monde. C’est
aussi le travail de l’artiste véritable. Ecrivain, sculpteur, compositeur,
peintre… Rien d’un hasard si La Fée valse
fait parfois référence à quelques-uns des peintres préférés de l’auteur (Kuffer
ne pratique-t-il pas l’art de l’aquarelle, du moins si j’ai bien compris ?).
Surviennent donc ici et là les noms de Munch, Soutter, Valloton, Rouault, Van
Gogh, Soutine… Ce qui confirme notre sentiment : La Fée valse est bien une histoire
d’œil, un recueil composé de regards éclatés – mais pas seulement éclatés,
répétons-le, puisque leur fonction est de recomposer le réel autrement, d’une façon d’autant plus
lumineuse (la lumière du vitrail) qu’elle est poïétique.
On ne recompose pas non plus un vitrail sans
que cela tienne de la quête. Et la quête, d’ordre fantasmagorique, est bien
présente dans ce livre : ce peut être par exemple celle de la bague d’or
de notre enfance, à propos de laquelle le narrateur (l’un des narrateurs car il
faut y insister, La Fée valse tient
dans un bouquet de voix) déclare : « Je n’ai pas fini de lui courir
après… », avec cette conséquence qui laisse toute sa place aux jeux de
l’amour et du hasard : «… au jeu de la bague d’or, déjà, ce n’était
jamais celle que je voulais à laquelle il fallait que je me prenne un
baiser-vous-l’aurez. » Ce livre se
donne comme une poursuite. Et une poursuite joueuse, le jeu avec la langue
n’étant pas l’un des moindres plaisirs qui soit ici délivré au lecteur.
S’il fallait trouver un dénominateur commun
à ces morceaux, on dira que le principal est précisément celui-ci : le jeu
avec la langue, charnelle, vivante, orale, riche de tours et d’expressions, enracinée
aussi dans son propre passé, langue française vieille d’un millénaire, et
pourtant toujours à se chercher, à se réinventer au travers de quelque
trouvaille (Kuffer est très à l’écoute de la langue qui se parle aujourd’hui). On
peut gager que l’ouvrage se prête très bien à la lecture en public.
Car c’est un bouquet de voix, il faut y
insister : La Fée valse ne se
contente pas de mettre en scène un seul narrateur. Non ! Multiples sont
les voix qui se font ici entendre : les narrateurs sont plusieurs, tantôt
masculins, tantôt féminins, tantôt singuliers, tantôt pluriels. Ce peut être « Je »
mais ce peut aussi être « On », « Il », « Vous »,
« Nous » ou « Moi ». Qui parle ? (L’oralité tient une
grande place dans ce livre). Eh bien, c’est la langue elle-même, dans sa
diversité.
Une langue qui jamais ne se laisse prendre
au piège d’une fermeture sur soi qui la figerait, mais qui se veut toujours en mouvement,
autant qu’il est possible, à force d’explorations et d’inventivité. Ce qu’on
sent là, c’est un goût de la faire fuser en expressions diverses, en tours de
phrases surprenants… Reprenons la métaphore : c’est comme si l’écrivain
s’amusait, page après page, à composer un bouquet à partir de fleurs choisies
(les mots) dont tirer des assemblages neufs, originaux, frais, déconcertants.
On ne s’étonnera donc pas, comme il est
normal devant un bouquet, que le plaisir soit non seulement verbal, musical,
mais aussi visuel. Si bien que l’on va de page en page un peu comme on
avancerait dans une riche galerie d’art, s’arrêtant et s’attardant devant
chaque tableau pour le laisser infuser et pénétrer pleinement en soi. Que les
amateurs de lectures rapides passent leur chemin !
Pour en revenir un instant à la question du
genre : a-t-on jamais vu de la satire sociale dans la prose poétique (moi
jamais, mais je ne sais pas tout) ? J’y vois une preuve de plus que La Fée valse s’écarte de ce genre-là, car
de la satire sociale, il y a en bien, ici ! Ainsi lorsque, en ironiques Majuscules, il est question d’un tout jeune nouveau comptable du
Service Contentieux de l’Entreprise. Ou de la personne préposée aux Ressources
Humaines (curieuse expression qu’on n’entendait jamais dans les années 60). Le
livre de Kuffer ne manque pas de moquer ainsi, par un effet de contraste, toute
la distance qui sépare le monde de l’art de celui dont une certaine novlangue nous
fait vainement miroiter les facettes, en dépit de son grand Vide. Passons.
Il y a un dernier point : La Fée valse se garde d’être explicite
(où serait le mystère ? quel espace serait encore réservé à la fantaisie ?).
Non, ces morceaux de féerie précisément ne visent pas à épuiser ce que la
langue peut dire : en tout, le livre préserve la part de l’imaginaire, et
finalement de l’incompréhensible. L’auteur sait très bien cela : pas plus
que le fameux « Traité uniquement réservés aux fous » du Loup des steppes de Hermann Hesse ne
s’adresse à tous (Hesse a soin de nous en prévenir), La Fée valse ne se laisse
saisir par ce qu’il est convenu d’appeler le « lectorat », sorte d’entité vague
composées d’amateurs de lectures faciles, digestibles à souhait, fourguées comme
des plats prépréparés pour le plus grand nombre possible.
Non, La
Fée valse, on l’aura compris, est à placer au rayon des livres rares.
Jean-François DUVAL
* Jean-Louis
Kuffer, La Fée valse, éd. de L’Aire.
Troisième titre paru dans la nouvelle collection « métaphores ». (Le
livre y est un bel objet, idéal en soi, s’offrant comme un cadeau à faire aux
autres ou à soi-même).
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