lundi 25 septembre 2017

Les BEATS toujours VIVANTS


CHRONIQUES

University of Chicago Center,  Paris. 20-22 septembre 2017. Colloque beat de l'EBSN (European Beat Studies Network).

 RONIQUES
    Les BEATS toujours VIVANTS !

    Il m’est arrivé une bien agréable aventure ces derniers jours. Ma route a un peu croisé celle de Kerouac, Ginsberg, Burroughs, et de tous les autres écrivains de la Beat Generation ! La semaine dernière, je me suis en effet rendu au Colloque sur les Beats qui s’est tenu au University of Chicago Center, à Paris. L’événement était organisé par The European Beat Studies Network dont je me suis enfin décidé à devenir membre et qui, depuis sa fondation en 2012, organise chaque année un colloque un peu partout autour de la planète : Tanger, Middleburg (Pays-Bas), Manchester… Cette dernière semaine, c’était à Paris. Plus de cent participants ! L’EBSN (European Beat Studies Network) tisse une formidable «toile»  qui regroupent tous ceux qui s’intéressent, ou plutôt se passionnent pour la Beat Generation, une mouvance qui n’a pas fini de faire parler d’elle, tant l’exigence de rebellion est une nécessité qui s’inscrit au cœur même du fonctionnement de toute société, et tout particulièrement de la nôtre sous les formes qu’elle prend aujourd’hui.
   On ne le sait pas assez : le mouvement initié à partir de 1947 par Kerouac, Ginsberg, Burroughs n’est pas mort du tout ! Oh non, il ne cesse de se perpétuer, par la grâce de métamorphoses et de boutures incessantes et renouvelées. L’un des intérêts est qu’en sus des universitaires (l’EBSN est essentiellement composés de profs d’unis, mais pas seulement) qui se penchent sur ce phénomène historico-socio-littéraire, il est encore possible de rencontrer certaines personnes qui ont fait partie et s’inscrivent encore directement dans la continuité de la légende beat. Moi-même, par le passé, j’ai pu rencontrer Ginsberg, Bukowski, Lu Ann Henderson (Marylou dans «Sur la route» de Kerouac), Carolyn Cassady, et maints autres, mais je n’avais encore jamais serré la main à Bonnie Bremser, femme du poète Ray Bremser (elle se prostitua brièvement au Mexique dans les années 50 pour sauver leur enfant, expérience qu’elle raconte dans « Troia »), ni à deux ou trois compagnons de route du fameux Herbert Huncke qui, avant Kerouac auquel il souffla le mot, créa le terme « beat » pour qualifier toute une génération – celle, déboussolée et jetée dans une quête profondément existentielle, de l’après Deuxième guerre mondiale. Depuis cinq jours, c’est chose faite ! (leur serrer la main).  

Gerald Nicosia, Paris, 2017

   J’étais depuis plusieurs années en contact via e-mails avec Gerald Nicosia (voir photo), qui publia «Memory Babe» en 1983, incontournable biographie de Kerouac sur un plan factuel (300 personnes interviewées) autant que critique (1000 pages, Nicosia travaille sur le sujet depuis plus de 40 ans, une vite entière !) mais nous ne nous étions jamais rencontrés en chair et en os. On s’est embrassé comme de vieux amis. Mieux : Ann Charters en personne, 82 ans et plus fraîche qu’une pâquerette malgré le «jetlag» l’amenant des States, était là. 

Ann Charters, Paris, 2017
  Qui est Ann Charters (voir photo) ? En 1956, à l’âge de vingt ans, elle fut la première universitaire à s’intéresser à Kerouac. Plutôt que de se pencher sur Melville ou Emerson, voire sur Milton ou Chaucer (l’Université l’y poussait), elle s’était intéressée à Kerouac justement parce qu’un prof disait à ses étudiants pis que pendre sur lui – de quoi être intriguée. Ses successeurs lui doivent beaucoup puisqu’elle est l’auteur  de la toute première biographie critique à lui consacrée, «Kerouac : A Biography» (1973). Elle était la seule d’entre nous, participants, à avoir rencontré Jack Kerouac, en 1967, deux ans avant sa mort. Kerouac était alors complètement oublié. Plus personne ne trouvait ses livres, jamais réédités. Vendredi dernier, en réponse à la question d’un participant qui lui demandait son avis sur le chemin parcouru depuis lors, Ann Charters, de longue date professeur à l’Université du Connectictut, l’a dit avec un sourire radieux : «It’s Paradise ! ». C’est le Paradis. Oui, puisqu’aujourd’hui il existe des dizaines de biographies de Kerouac, et des milliers d’études traitant de son œuvre. Et les études sur d’autres écrivains beats foisonnent, qu’il s’agisse de Gregory Corso, Michael McCLure, Gary Snyder, Ferlinghetti, Diane Di Prima et cent autres.

Lydia Lunch, Paris, 2017
   Les conférences se sont succédées de manière effrénée. Je ne sais plus le nombre de celles auxquelles j’ai participé. Il y a eu des performances, dont celle de l’étonnante Lydia Lunch (mon Dieu, quelle personnalité !) On s’est interrogé sur mille sujets : la réception des Beats en France dès 1960 (Maurice Nadeau étant évidemment le premier à s’être avisé de leur existence), le rapport entre les Beats et l’existentialisme français, Sartre, Camus, l’émergence des mouvements féministes via les Beat Women, le rapport des Beats à Rimbaud, la présence de Kerouac (et de ses haikus) en Asie, l’importance constestataire du mouvement beat dans la Turquie d’aujourd’hui, etc, etc. Tout cela était si intéressant que tous ces gens venus du bout du monde n’ont pas eu une minute pour découvrir Paris (j’ai tenté de les consoler, et crois y avoir réussi – ils découvriront une autre fois la tour Eiffel).

   Pour ma part, l’un des grands moments fut la matinée consacrée à Herbert Huncke, que tout le monde appelait «Hunckie», un gosse de la rue – il y a vécu dès l’âge de douze ans –, une icône beat décédée à l’âge de 81 ans, en 1996. (J’étais précisément à New York à ce moment, et m’en veux encore d’avoir manqué ses funérailles, pour la bête raison qu’il me fallait utiliser mon billet d’avion retour pour l’Europe – que je sois maudit !). Par bonheur, au University of Chicago Center de Paris, vendredi dernier, il y avait trois personnes qui l’avaient intimement connu : Bonnie Bremser, son ami poète Clive Matson et son éditrice Eila Kokkinen. On a pu démonter quelques idées reçues : la plupart des ouvrages traitant des écrivains beat rangent Hunckie au rang des «petits criminels et héroïnomanes» de Times Square entre 1940 et 1945 (il en était certes la figure la plus remarquable) omettant, par ignorance, deux choses : Hunckie était un prince de la langue – Kerouac l’a lui-même qualifié de « roi des storytellers, des raconteurs d’histoires ». Deuxième point sur lequel tout le monde s’est accordé : Hunckie, plus que Kerouac, plus que Ginsberg, a été (bien malgré lui) le véritable initiateur de ce qui allait devenir la Beat Generation (il avait sans arrêt le mot «beat » à la bouche). En ce sens, Ginsberg a en quelque sorte été la « chambre d’écho » du mouvement (sans lui, les médias n’en auraient jamais entendu parler). Kerouac, lui, en avait parfaitement compris « l’esprit », et son écriture en est devenu la meilleure incarnation à travers le Verbe. Mais Huncke, lui, et comme disent les Américains, était la chose ELLE-MÊME, THE REAL THING. Je crois que c’est vrai. Nul plus que Hunckie n’a réellement vécu, dans sa chair et sur un plan existentiel, ce qu’être «beat» veut dire. Kerouac et les autres n’ont fait, en grande partie, que mettre la chose en mots. A l’un (Hunckie) la réalité de la chose, aux autres la tâche de la mettre en écriture.

    A quoi s’ajoute toutefois, et ça n’est pas rien, que Hunckie était, autant que les autres, un grand lecteur et un fou d’écriture (hélas tous ses carnets ont été réduits en flammes) qui écrivit tout de même quelques textes où il excelle dans la description et le portrait. Si sa préférence sexuelle allait aux hommes, il possédait à un haut degré l’art de brosser des portraits de femmes, qu’il s’agisse de Joan Vollmer (l’épouse paradoxale de William Burroughs) ou de Vicki la Rousse, telle qu’il la dépeint dans son livre « Coupable de tout » (traduit au Seuil dans l’excellente collection Fiction & Cie dirigée par Bernard Comment, qui en signe la belle introduction.) Joan Vollmer ? Vicki la Rousse ? D’autres ? A lire ce qu’en dit Hunckie, on en tombe fatalement amoureux… tant, sous sa plume, toute femme devient une reine !

Hassan Melehy et Oliver Harris (chapeau.)
  Alors oui, sacré colloque ! Qui n’aurait jamais eu lieu sans la création en 2012 de l’EBSN, né à l’initiative de son toujours actuel président, Oliver Harris, professeur à Keele University (GB) et à l’heure actuelle le meilleur spécialiste de l’œuvre de William Burroughs. Je suis même persuadé que William Burroughs serait ravi de lui emprunter son chapeau (voir photo). Quant à nous, on le lui tire – aussi bien qu’aux organisateurs Véronique Lane, professeur à Lancaster University et auteur de «The French Genealogy of The Beat Generation: Burroughs, Ginsberg and Kerouac’s Appropriations of Modern Literature, from Rimbaud to Michaux»,  Peggy Pacini, maître de conférence à l’Université Clergy-Pontoise et traductrice des «Lettres choisies» d’Allen Ginsberg publiées chez Gallimard, et Frank Rynne.

   Qui s’intéresserait à l’EBSN cliquera sur :

    Jean-François Duval



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire