langue
de bœuf
je
n’avais pas mangé depuis deux trois jours
je
l’avais mentionné à plusieurs reprises
j’étais
là-haut chez ce poète
dont
une femme minuscule prenait soin.
c’était
un malabar barbu au cerveau deux fois aussi large que le
monde,
et on était restés debout toute la nuit
à
écouter des cassettes, à parler, fumer, avaler des comprimés.
sa
femme était allée se coucher depuis des heures.
c’était
dix heures du mat
le
soleil entrait en se fichant pas mal qu’on ait pas dormi
et
avant que j’aie pu faire ouf
il
est sorti de la cuisine
en
disant « hé, Chinaski ! REGARDE ! »
j’y
voyais pas très clair –
d’abord
ça m’a eu l’air d’une botte jaune remplie d’eau
puis
ça m’a eu l’air d’un poisson sans tête
et
puis ça m’a eu l’air d’une bite d’éléphant,
enfin
il l’a approché plus près :
« LANGUE
DE BŒUF ! LANGUE DE BŒUF ! »
c’était
bien ça ,
je
n’avais jamais imaginé qu’une langue de bovin était aussi
grosse
et longue,
c’était
un viol,
on
était allé profond dans le gosier de cette bête
on
l’avait tranchée, et elle était ici maintenant :
« LANGUE
DE BŒUF ! »
elle
était jaune et rose
et
elle
s’étouffait toute seule
juste
une atrocité raisonnable et sensée de plus
commise
par des hommes intelligents.
je
n’étais pas un homme intelligent. j’ai
atteint
l’évier et commencé à
avoir
des hauts-le cœur.
stupide,
bien sûr, stupide, ce n’était que de la viande morte,
ne
ressentant plus rien maintenant, la douleur depuis longtemps tarie au fond du
monde
mais
j’ai continué à vomir, j’ai fini, nettoyé l’évier
et
suis revenu
dans
la pièce. « pardon, » j’ai dit.
« ça
va, j’ai oublié ton estomac. »
puis
il a rapporté la langue dans la cuisine
puis
en est ressorti et on parlé de ci ou ça
et
au bout d’une dizaine de minutes
j’ai
entendu l’eau bouillir et j’ai senti la langue qui cuisait
dans
cette eau bouillonnante sans bouche ni œil
ni
nom, c’était une énorme langue qui tournait et virait
sous
ce couvercle
et
puait
en
devenant de la langue cuite
en
devenant plus délicieuse et savoureuse
mais
comme c’était un type de bonne composition
je
lui ai demandé de bien vouloir l’éteindre.
c’était
une froide matinée et je frissonnais sur le seuil
en
m’apprêtant à prendre congé
l’air
frais faisait du bien
je
sentais mes jambes mon cœur mes poumons
envisager
déjà une nouvelle chance.
on
a parlé d’un recueil de poèmes qu’il m’aidait à
publier,
puis il m’a dit « au revoir, on reste en
contact. »
on ne s’est pas serré la main, une chose qu’aucun de nous
n’aimait
faire.
j’ai
remonté le sentier retrouvé dehors ma voiture démarré le
moteur
et en le faisant chauffer je l’ai imaginé revenant dans la
cuisine
derrière cette masse de barbe noire,
ces
yeux de diamant bleu brillant hors de
tout
ce poil noir
ces
yeux de diamant bleu intelligents heureux
connaissant
tout (presque), et puis
rallumant
le gaz
l’eau
commençant à remuer et frémir
la
langue tournant là-dedans
une
fois encore.
et
moi, stupide dans ma bagnole, j’ai décollé du
trottoir,
la laissant rouler dans la matinée jaune,
dévaler
négocier tournants et descentes,
tout
ce vert poussant joliment le long du côté
de
la route.
enfin
bon,
Christ
merci, il ne m’avait pas invité à rester pour le
dîner.
en rentrant chez moi j’ai feuilleté des reproductions de
Renoir,
Pissaro et Diaz.
puis
j’ai mangé un œuf
dur.
Copyright Yves Sarda pour la traduction française
je
n’avais pas mangé depuis deux trois jours
je
l’avais mentionné à plusieurs reprises
j’étais
là-haut chez ce poète
dont
une femme minuscule prenait soin.
c’était
un malabar barbu au cerveau deux fois aussi large que le
monde,
et on était restés debout toute la nuit
à
écouter des cassettes, à parler, fumer, avaler des comprimés.
sa
femme était allée se coucher depuis des heures.
c’était
dix heures du mat
le
soleil entrait en se fichant pas mal qu’on ait pas dormi
et
avant que j’aie pu faire ouf
il
est sorti de la cuisine
en
disant « hé, Chinaski ! REGARDE ! »
j’y
voyais pas très clair –
d’abord
ça m’a eu l’air d’une botte jaune remplie d’eau
puis
ça m’a eu l’air d’un poisson sans tête
et
puis ça m’a eu l’air d’une bite d’éléphant,
enfin
il l’a approché plus près :
« LANGUE
DE BŒUF ! LANGUE DE BŒUF ! »
c’était
bien ça ,
je
n’avais jamais imaginé qu’une langue de bovin était aussi
grosse
et longue,
c’était
un viol,
on
était allé profond dans le gosier de cette bête
on
l’avait tranchée, et elle était ici maintenant :
« LANGUE
DE BŒUF ! »
elle
était jaune et rose
et
elle
s’étouffait toute seule
juste
une atrocité raisonnable et sensée de plus
commise
par des hommes intelligents.
je
n’étais pas un homme intelligent. j’ai
atteint
l’évier et commencé à
avoir
des hauts-le cœur.
stupide,
bien sûr, stupide, ce n’était que de la viande morte,
ne
ressentant plus rien maintenant, la douleur depuis longtemps tarie au fond du
monde
mais
j’ai continué à vomir, j’ai fini, nettoyé l’évier
et
suis revenu
dans
la pièce. « pardon, » j’ai dit.
« ça
va, j’ai oublié ton estomac. »
puis
il a rapporté la langue dans la cuisine
puis
en est ressorti et on parlé de ci ou ça
et
au bout d’une dizaine de minutes
j’ai
entendu l’eau bouillir et j’ai senti la langue qui cuisait
dans
cette eau bouillonnante sans bouche ni œil
ni
nom, c’était une énorme langue qui tournait et virait
sous
ce couvercle
et
puait
en
devenant de la langue cuite
en
devenant plus délicieuse et savoureuse
mais
comme c’était un type de bonne composition
je
lui ai demandé de bien vouloir l’éteindre.
c’était
une froide matinée et je frissonnais sur le seuil
en
m’apprêtant à prendre congé
l’air
frais faisait du bien
je
sentais mes jambes mon cœur mes poumons
envisager
déjà une nouvelle chance.
on
a parlé d’un recueil de poèmes qu’il m’aidait à
publier,
puis il m’a dit « au revoir, on reste en
contact. »
on ne s’est pas serré la main, une chose qu’aucun de nous
n’aimait
faire.
j’ai
remonté le sentier retrouvé dehors ma voiture démarré le
moteur
et en le faisant chauffer je l’ai imaginé revenant dans la
cuisine
derrière cette masse de barbe noire,
ces
yeux de diamant bleu brillant hors de
tout
ce poil noir
ces
yeux de diamant bleu intelligents heureux
connaissant
tout (presque), et puis
rallumant
le gaz
l’eau
commençant à remuer et frémir
la
langue tournant là-dedans
une
fois encore.
et
moi, stupide dans ma bagnole, j’ai décollé du
trottoir,
la laissant rouler dans la matinée jaune,
dévaler
négocier tournants et descentes,
tout
ce vert poussant joliment le long du côté
de
la route.
enfin
bon,
Christ
merci, il ne m’avait pas invité à rester pour le
dîner.
en rentrant chez moi j’ai feuilleté des reproductions de
Renoir,
Pissaro et Diaz.
puis
j’ai mangé un œuf
dur.
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