mercredi 22 avril 2015

Bukowski poète, au fond de l'heure (inédit)

au fond 


au fond de l’heure
se tapit
la griffe fumante
le train rouge
la lettre à domicile
le blues défoncé.

au fond de l’heure
se tapit
la chanson que vous avez chantée ensemble
la souris dans le grenier
la vitre du train sous la pluie
l’haleine de whisky de grand-père
le sang-froid de l’auxiliaire de prison.

au fond de l’heure
se tapit
les célébrités devenues complètement stupides
des églises à la peinture blanche écaillée
des amants qui choisissent des hyènes
des écolières qui pouffent devant l’atrophie
les océans suicidaires de la nuit.

au fond de l’heure
se tapit
des yeux en boutons dans un visage en carton
des bouquins morts de bibliothèque serrés debout.

au fond de l’heure
se tapit
la pieuvre
Gloria devenue folle en se rasant les aisselles
les guerres des gangs
aucun papier hygiénique dans les toilettes d’une gare
un pneu à plat à mi-chemin de Vegas.

au fond de l’heure
se tapit
le rêve de la barmaid en fille parfaite
le premier et unique home run
le père assis dans la salle de bains avec la porte ouverte
la mort rapide et courageuse
le viol en bande dans la baraque foraine.

au fond de l’heure
se tapit
la guêpe dans la toile d’araignée
les plombiers déménageant à Malibu
la mort de la mère comme une cloche qui n’a jamais sonné
l’absence de vieux sages.
                                           
au fond de l’heure
se tapit
Mozart
des fast-foods où le prix d’un mauvais repas dépasse le salaire horaire
des femmes en colère des hommes dupés et des enfants effacés
le chat de la maison
l’amour comme un espadon.

au fond de l’heure
se tapit
17.000 personnes hurlant devant un home run
des millions qui rient aux blagues évidentes d’un comique télé
la longue et horrible attente dans les bureaux de l’aide sociale
Cléopâtre grosse et démente
Beethoven dans sa tombe.

au fond de l’heure
se tapit
la damnation de Faust et les rapports sexuels
les chiens de l’été aux yeux tristes perdus dans les rues
le dernier enterrement
Céline échouant à nouveau
l’œillet à la boutonnière du tueur bienveillant.

au fond de l’heure
se tapit
des fantasmes souillés de lait
notre invasion odieuse des planètes
Chatterton buvant de la mort-aux-rats
le taureau qui aurait dû tuer Hemingway
Paris comme une pustule dans le ciel.

au fond de l’heure
se tapit
l’écrivain fou dans une chambre de liège
la fausseté du Bal de Promo de Terminale
le sous-marin aux traces de pas violettes.

au fond de l’heure
se tapit
l’arbre qui pleure dans la nuit
l’endroit que personne n’a découvert
être si jeune qu’on pensait pouvoir le changer
être d’âge mûr et penser pouvoir y survivre
être vieux et penser qu’on pourrait s’en cacher.

au fond de l’heure
se tapit
2 heures 30 du mat
puis l’avant-dernier vers
et puis le dernier.




Traduction copyright Yves Sarda
 

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