Bukowski poète, j'étais content

j’étais content

j’étais content d’avoir de l’argent à la Caisse d’Épargne

gueule de bois d’un vendredi après-midi

j’avais pas de boulot

j’étais content d’avoir de l’argent à la Caisse d’Épargne

je ne savais pas jouer de la guitare

gueule de bois d’un vendredi après-midi

gueule de bois d’un vendredi après-midi

de l’autre côté de la rue chez Norm’s

de l’autre côté de la rue Le Red Fez

j’étais content d’avoir de l’argent à la Caisse d’Épargne

rompu avec ma petite amie un blues démentiel

j’étais content d’avoir mon livret et de faire la queue

je regardais les bus monter Vermont Avenue

j’étais trop dingue pour avoir un boulot de conducteur de bus

et je regardais même pas les jeunes filles

j’avais le tournis de faire la queue mais j’ai

juste continué à penser que j’avais de l’argent dans ce bâtiment

gueule de bois du vendredi après-midi

je ne savais pas jouer du piano

ni même me dégoter un boulot à la con dans un car wash

j’étais content d’avoir de l’argent à la Caisse d’Épargne

j’étais enfin au guichet

c’était ma Japonaise

elle m’a souri comme si j’étais un dieu incroyable

de retour, hein ? elle m’a dit en éclatant de rire

comme je lui glissais mon bordereau de retrait et mon livret

tandis que les bus montaient et descendaient Vermont Avenue

les chameaux traversaient au trot le Sahara

elle m’a donné l’argent et j’ai pris l’argent

gueule de bois du vendredi après-midi

je suis entré dans le supermarché et j’ai pris un chariot

j’ai lancé saucisses et œufs bacon et pain là-dedans

j’ai lancé bière et salami condiments cornichons et moutarde là-dedans

j’ai regardé les jeunes ménagères se trimballer décontractées

j’ai lancé entrecôtes steaks et faux filets dans mon chariot

et des tomates des concombres et des oranges dans mon chariot

gueule de bois du vendredi après-midi

rompu avec ma petite amie un blues démentiel

j’étais content d’avoir de l’argent à la Caisse d’Épargne.       

Copyright Yves Sarda pour la traduction française