mardi 7 avril 2015

Bukowski poète, notre curieuse attitude

notre curieuse attitude

Saroyan sur son lit de mort a dit :
« je croyais que je ne mourrais jamais… »

je sais ce qu’il a voulu dire :
je m’imagine à jamais
pousser un chariot dans un
supermarché
en quête d’oignons, de pommes de terre
et de pain
tout en regardant les drôles de
dames difformes pousser le leur
près de moi.
je m’imagine à jamais
rouler sur la voie express
en regardant à travers un pare-brise
sale la radio branchée sur
un truc que je n’ai pas envie
d’entendre.
je m’imagine à jamais
renversé dans un
fauteuil de dentiste
la bouche
ouverte comme un crocodile
en songeant que
je suis dans le
Who’s Who in America.
je m’imagine à jamais
dans une chambre avec une femme
dépressive et malheureuse.
je m’imagine à jamais
dans la baignoire
pétant sous l’eau
regardant les bulles
en me sentant fier de moi.

mais mort, non…
du sang en pointes d’épingle hors
des narines,
ma tête allant se fracasser en travers
du bureau
mes doigts s’agrippant à
l’espace sombre…
impossible…
je m’imagine à jamais
assis au bord
du lit
en caleçon avec
des coupe-ongles des pieds
me taillant
d’énormes morceaux sales
de corne
en souriant
pendant que mon chat blanc
assis à la fenêtre
regarde de haut au dehors la
ville
et que le téléphone
sonne…

entre deux
ponctuations
agoniques
la vie est une si
douce habitude :
je comprends ce que
Saroyan
a voulu dire :

je m’imagine à jamais
descendre
l’escalier
ouvrir la porte
aller jusqu’à la
boîte aux lettres
et y trouver toutes ces
publicités
auxquelles
je ne crois pas
non plus.

Copyright Yves Sarda pour la traduction française


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